Le film

Nous sommes des champs de bataille

Mathieu Rigouste - 21 novembre 2023

Bienvenue dans la machine sécuritaire.
Voici une carte des rouages et un plan d’évasion.

Outil de compréhension critique sur le business de la guerre et du contrôle, ce film mène aussi une réflexion artistique et philosophique sur la force des images et notre participation commune aux catastrophes en cours.

Depuis le début des années 2000, j’enquête sur les origines et le fonctionnement du système sécuritaire. J’en suis venu à le connaître intimement. En 2017, 2021 et 2023, j’ai réussi à me faire accréditer comme journaliste pour entrer à Milipol, le « salon mondial de la sécurité intérieure des États ». J’y ai mené des entretiens avec des industriels de l’armement, des commerciaux et des chargés de communication du spectacle de la guerre et du contrôle, qui m’ont répondu en me considérant comme l’un des leurs.

J’ai pu filmer la directrice d’Axon, société qui commercialise les pistolets électriques Taser et dote les polices du monde entier de caméras intelligentes et de logiciels de traitements des données. J’ai recueilli la parole d’un dirigeant du Gicat, le groupement des industries « de défense et de sécurité », la maison mère du complexe militaro-industriel français. J’ai filmé et interrogé deux dirigeants d’entreprises israéliennes, fiers de me présenter leurs dernières technologies anti-émeutes et leurs logiciels de « traitement préventif » pour le « contrôle des foules ».

J’ai mené des entretiens avec des start-ups de la « réalité augmentée » qui supervisent la « sécurisation » des prochains Jeux Olympiques de 2024 et se préparent à vendre dans le monde entier, leurs technologies de gestion des « Smart and Safe cities ». J’ai interviewé le responsable marketing de Nobel France, une entreprise de fusils de chasse qui fait son possible pour vendre ses derniers Flashballs partout dans le monde. J’ai filmé le directeur d’Idémia, le leader mondial des technologies biométriques. Il raconte tranquillement comment son entreprise prépare l’installation de la reconnaissance faciale en France comme il le fait déjà à Singapour. Il me présente leurs toutes dernières technologies de gestion des flux, des prisons et des frontières...

Ces entretiens constituent la matière première d’un film sur l’ordre sécuritaire et ce qui lui résiste.

J’ai décidé de confronter les images de ce marché global de la violence aux regards et aux vécus de celles et ceux qui subissent dans leurs corps et leurs parcours les technologies de pouvoir. Je propose de réfléchir ensemble, à l’intersection de nos existences et de nos résistances.

Je participe aux luttes contre les violences d’État depuis des années, comme soutien et comme victime d’un tabassage policier. Sur ce chemin, j’ai rencontré Fatou Dieng et Fahima Laidoudi. Elles sont devenues mes amies et mes camarades. Elles ont vécu les implications concrètes de l’ordre sécuritaire dans leur chair et en sont devenues des analystes critiques. Chacune à sa manière, s’est engagée pour survivre et faire face. Elles ont accepté de raconter leur histoire et de réfléchir avec nous sur ce marché mondial de la violence.

La vie nous a réuni-es comme témoins. Nous nous racontons comme enquêtrices et enquêteurs. Et ce film montre comment nous devenons stratèges. Notre transformation collective au travers de l’amitié et de la lutte constitue la trame cachée de cette histoire. Pour la raconter, j’emmène la caméra dans les refuges où nous nous entraidons. Nous y analysons ensemble l’architecture de la violence. Nous décryptons le fonctionnement quotidien du pouvoir sécuritaire sur nos vies. Nous retraçons les cheminements de nos combats. Nous regardons derrière nous et à la suite d’une grande inspiration, nous plongeons en nous-mêmes pour imaginer des libérations communes.